La mixité sociale à l’épreuve de la résidence : une belle idée… sur le papier ?
« Les opérations de construction comprenant plus de 1200 m² de surface de plancher de logement devront comporter au moins 30% de logements sociaux ». Ce type de règle apparaît de plus en plus souvent dans les PLU. La raison est simple : organiser la diversité au sein de chaque opération résidentielle évite de recréer des quartiers entiers de logements sociaux et favorise la mixité sociale et urbaine. Mais la solution est-elle vraiment aussi simple ?
CODRA, en partenariat avec Bénédicte de Lataulade, sociologue, a analysé 25 opérations de logements réalisées ces 10 dernières années dans une ville francilienne. L’un des enjeux de la mission était de comprendre l’organisation et le fonctionnement de la mixité sociale au sein d’une même résidence.
Conception et aménagements, des freins à la mixité
Point de départ de notre réflexion : qu’est-ce que la mixité sociale ? Elle consiste en ce que des personnes issues de catégories socioprofessionnelles, d’âges, de cultures et de parcours résidentiels différents cohabitent et se côtoient, notamment par la proximité et le partage d’espaces communs. C’est le fondement même de la ville. Mais la mixité sociale peut-elle réellement exister quand les logements en accession ont une porte d’entrée rouge et les logements sociaux une porte d’entrée bleue ? Ou lorsque les locataires du parc social sont regroupés dans un bâtiment physiquement séparé des logements en accession ? Des différences architecturales distinguent de manière tangible les patrimoines : taille des immeubles, traitement des façades, formes des balcons… Ces différences ont tendance à marquer voire stigmatiser les locataires des logements sociaux face aux accédants, freinant ainsi la sociabilité.
Ajoutés à ces éléments de différenciation entre accession et social, les espaces communs, considérés a priori comme le socle du vivre ensemble, n’ont dans les faits pas vocation à être des lieux de rencontre ou de partage. Bien souvent, ce sont des espaces fonctionnels, de desserte ou de circulation, mais dans lesquels aucun aménagement n’est prévu pour une quelconque appropriation par les résidents. Qui plus est, les espaces libres résiduels sont généralement clôturés et impraticables, conçus comme des « jardins » ou « pelouses » d’agrément qui se donnent à voir depuis les balcons… A ce manque d’espaces collectifs attractifs s’ajoutent des règlements de copropriété qui contraignent fortement les usages : « pelouse interdite », « jeux interdits »… Autant d’éléments pour limiter les nuisances sonores générés par les jeux d’enfants ou les discussions de voisins en pied d’immeuble. Mais autant d’éléments qui de fait empêchent le regroupement de personnes et handicapent fortement le lien social.
Au vu des 25 opérations étudiées, on est face à une injonction paradoxale : le projet initial de mixité sociale est contredit par des aménagements et une gestion qui interdisent toute appropriation partagée des espaces collectifs par les habitants. Ce qui aboutit à produire un entre soi, contraire à l’objectif de départ.
La gestion résidentielle : la clef du vivre ensemble
Entre les résidents du parc social et les propriétaires se jouent souvent des représentations de défiance. Les préjugés sont certes nombreux. Cependant, on peut observer des réseaux de solidarité spontanés : par exemple, face à des problèmes de finition des logements, des résidents se constituent en collectif pour adresser leurs revendications communes au bailleur et au syndic. Mais les liens sociaux ne peuvent perdurer que si une animation de la résidence le permet, organisée par le bailleur ou par une association de locataires. Sans cela, les attitudes de défiance reviennent naturellement. La question de la gestion apparaît donc comme primordiale dans la pérennisation d’une réelle mixité sociale dans ces opérations. Les modes de gestion doivent permettre de maintenir la qualité résidentielle des opérations de manière homogène et par ailleurs, au vivre ensemble de se concrétiser.
Les entretiens avec les riverains ont montré que les enjeux de la mixité s’éprouvent dans le sentiment de tranquillité et de confort, mais aussi dans les valeurs éducatives. L’école du quartier, déterminante dans les stratégies résidentielles des ménages, doit être suffisamment attractive pour contribuer à la stabilité des ménages au niveau de la résidence et du quartier. Cela implique un certain nombre de questions autour de « l’offre scolaire » et de la composition sociale des établissements concernés. La mixité sociale résidentielle se conçoit aussi et surtout avec l’ensemble des aménités du territoire environnant.
Bénédicte de Lataulade et Amandine Martin-Laval (CODRA)