Quelles articulations possibles ?
Les dernières contributions du Conseil National des Villes pointent des inégalités sociales et territoriales qui s’accentuent entre les ZUS et les autres territoires.
Il apparaît nettement que la pauvreté augmente (cf. les derniers chiffres de l’INSEE) et que la fracture sociale se renforce. L’ensemble des progrès économiques et technologiques contribue à l’enrichissement de certains au détriment des populations les plus démunies, qui se situent dans un processus de décrochage social qui s’accentue. Par ailleurs, la classe moyenne est de plus en plus fragilisée et les plus pauvres de cette classe sociale sont en permanence sur un point de bascule.
La ligne de partage n’est plus aussi nette entre « ceux du dedans » et « ceux du dehors ». Panne de la mobilité sociale certes, mais également risque de dévalorisation très prégnant. En effet, les populations plus fragiles sont privées d’un pouvoir d’achat suffisant pour accéder à la consommation, elles souffrent d’une mobilité spatiale, locative et sociale très réduite, ont un accès difficile à certains services et ne bénéficient pas d’un réseau social suffisant pour pallier l’ensemble de ces déficits.
Actuellement les politiques urbaines prônant la « mixité sociale », ne contribuent sans doute qu’à accentuer cette ségrégation spatiale. Les premières évaluations des dispositifs mis en œuvre par l’ANRU montrent que l’on ne progresse pas de manière évidente sur la question de la mixité (cf. Christine Lelévrier, 2008). Plusieurs facteurs sont certainement à l’origine de ce constat.
Par rapport à l’action publique engagée de longue date sur les quartiers dits « prioritaires », persiste une difficulté certaine : la non articulation d’un projet social et d’un projet urbain cohérent. Le « projet urbain » s’est inspiré jusque-là plus de concepts architecturaux que de concepts sociaux et politiques (d’urbanisme) privilégiant ce que les professionnels appellent le « hard » au détriment du « soft ».
Les outils dont disposent les professionnels consistent principalement en ceux qu’ils mettent en œuvre dans l’accompagnement des politiques publiques (management territorial, diagnostics, évaluations…). Or ces dispositifs divers sont atomisés, juxtaposés, parfois incohérents dans leurs interactions. Les professionnels sont conscients des limites de chacun de ces dispositifs, et prônent depuis longtemps déjà le « projet intégré de territoire » (concept énoncé dans le dernier rapport du Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU (« Les quartiers en mouvement. Pour un acte 2 de la Rénovation Urbaine », septembre 2011).
En effet, c’est en considérant l’ensemble des dimensions d’un territoire (économiques, sociales, urbaines, culturelles, technologiques, environnementales) que l’on pourra peut-être redonner de la cohérence à un projet de société « durable », c’est-à-dire en mettant en avant un projet urbain au service d’un projet social et économique.
Comprendre et anticiper la ville de demain passe par des politiques publiques d’aménagement intégrant les grandes tendances (vieillissement, structures familiales, évolution du marché du travail, spécialisation sociale, mobilités, qualification…) tout en adaptant ces politiques à la diversité sociale mouvante des territoires.
Les enjeux sociaux doivent être définis certes à différentes échelles (agglomération, commune), sachant qu’aujourd’hui il existe des données permettant de décrypter à l’ilot les vraies problématiques sociales. C’est ce travail de connaissance fine des dynamiques sociales, qui, croisé avec une approche urbaine, économique, et environnementale permettra de mieux agir sur le cadre de vie.
Plusieurs thématiques prioritaires émergent ainsi au cœur de l’articulation entre l’« urbain » et le « social » :
- la programmation des logements qui interroge les questions de politique de peuplement
- la programmation d’équipements publics et commerciaux
- la programmation d’espaces publics
- les questions de désenclavement (symbolique et physique) et de mobilité
- les retombées des projets urbains en termes d’emploi et de développement économique local
- La nécessité d’une gouvernance favorisant « le projet de territoire intégré »
Parce qu’elles relèvent d’une logique de programme et non de projet, les procédures nationales induisent certains obstacles dans la conception et la conduite de « projets intégrés de territoire ». Les programmes définis au niveau national n’étant pas conçus pour favoriser cette transversalité, il incombe aux territoires de la produire. Ils doivent pour cela mobiliser des ressources organisationnelles propres afin de recréer ou faire perdurer un système d’acteurs propice aux interactions fécondes entre projet urbain et projet social.
Quels outils et quelle organisation pour porter ce projet global ?
L’enjeu de la globalité est bien le défi des villes. Dans les Projets de Rénovation Urbaine comme dans les Contrats Urbains de Cohésion Sociale, les orientations de l’État contribuent d’ailleurs à renforcer le processus de municipalisation de la politique de la ville. A charge donc aux villes de réinventer des modes d’organisation et des outils permettant de veiller à la complémentarité des champs d’intervention, des dispositifs et des outils au service de la stratégie d’ensemble (observatoires locaux, outils de veille et de prospective, modes d’organisation favorisant un partenariat élargi…).
Des dispositifs au service du territoire et non l’inverse : l’idée est de mettre en cohérence les nombreux contrats et dispositifs spécifiques ou de droit commun (PRU, CUCS, Agendas 21, PLIE, RAR, PRE, RAR, ASV de Contrats Locaux de Santé, PLH, CLSPD, GUP, PLCD, Contrats existants avec les autres collectivités locales …)….
Le socle de ce type d’intervention est une connaissance extrêmement fine des territoires, la définition d’orientations stratégiques et d’un programme d’actions décliné sur différentes temporalités.
Quelle méthode envisager ?
Les enjeux du diagnostic social :
- Analyser les principales données sociodémographiques du territoire
- Comprendre le fonctionnement social global du territoire: représentations, appropriations de sous-territoires, usages développés sur les espaces publics, réseaux de sociabilité, histoire…etc.
- Analyser le fonctionnement actuel des équipements du quartier et leur rayonnement
- Faire émerger les principaux enjeux sociaux
Il s’agit de prendre en compte l’histoire sociale et culturelle de territoire, d’en comprendre le fonctionnement actuel pour inscrire le projet à venir dans une continuité porteuse de sens pour les habitants et utilisateurs du territoire d’aujourd’hui et pour ceux à venir. Comprendre les dynamiques sociales à l’œuvre pour favoriser un territoire pour tous.
L’analyse sociologique est complémentaire aux autres approches de recueil de données objectives et qualitatives dans le quartier.
- Fonder les propositions sur un diagnostic partagé
C’est au niveau du diagnostic que les habitants et autres utilisateurs du quartier sont le plus à même d’alimenter la connaissance du territoire pour fonder les orientations du projet.
Le diagnostic permet de recenser collectivement les ressources et les dysfonctionnements et permet de comprendre les blocages et les potentialités réels du territoire. L’écoute et la prise en compte croisée des points de vue de différents groupes d’acteurs aide à comprendre les dynamiques à l’œuvre sur le territoire. La prise en compte de ces dynamiques est essentielle dans une volonté d’aménagement responsable.
- Les utilisateurs du quartier sont des experts (prendre en compte « l’expertise d’usage »)
Il s’agit de mener un diagnostic participatif incluant les acteurs sociaux du quartier et les habitants pour d’une part, recueillir les matériaux nécessaires à la compréhension du fonctionnement du quartier et d’autre part, amorcer le processus de concertation.
Les habitants, les commerçants, les entreprises, les employés et d’une façon générale l’ensemble des usagers du quartier d’une part, et tous les acteurs institutionnels d’autre part, sont, chacun à leur façon et de leur point de vue, des experts à propos de la qualité de l’environnement urbain. Leur capacité à formuler les dysfonctionnements, les richesses et différentes facettes de leur environnement d’une part, et à imaginer et à concevoir des pistes de propositions d’autre part, doivent être développées.
Les différentes informations recueillies permettront de dresser un diagnostic dynamique : appréciations portées sur la situation locale à partir de la mise à plat des données et observations, synthèse des entretiens, principales problématiques émergentes, identification des potentialités et points forts du territoire, identification des différents acteurs susceptibles de participer au projet, repérage des réseaux locaux et de leurs articulations (ou leur absence d’articulation),….
- La concertation entre les différents acteurs publics
La communication interne au sein et entre les différents acteurs publics et privés est très importante pour une optimisation des prises de décision. Le bureau d’étude doit être un facilitateur de cette communication ; il doit organiser la participation interne, condition incontournable de la participation citoyenne.
Pour les projets complexes que sont les PRU, ces aspects de la participation valent tout autant en ‘interne’ pour l’ensemble des acteurs politiques et institutionnels impliqués. On sait avec l’expérience du PNRU 1 que la négociation partenariale et l’implication de tous dans le PRU est une des conditions de réussite du projet. La phase d’élaboration du projet est un temps de réflexion collective, de partage des enjeux et de négociation pour que chacun puisse s’approprier le projet dans sa globalité.