19 mars 2020 : Quand les annonces tombent, je les attendais. Salariée, moi et mes collègues nous attendions toutes de pouvoir enfin télétravailler. Pour dire que passer sa vie, l’essentiel de ses jours en entreprise ne va pas de soi. Une annonce qui permet la délivrance. Surprenant probablement pour ceux qui ne connaissent pas cela, l’Etat exige le confinement et nous le vivons comme une libération !
Travailler en autonomie, avec le sens de ses responsabilités, de ce que l’entreprise nous demande avec la conviction profonde que nous sommes capables de nous en débrouiller, de savoir quelles sont nos missions et d’y répondre, les remplir pleinement sans capos pour surveiller, en toute liberté. Je sais ce que j’ai à faire, pas besoin qu’on me le rappelle.
Donc ouais, je vois cette parenthèse comme une ouverture sur d’autres façons de penser le travail, d’autres façons de vivre. L’occasion de me rassembler sur ce qui fonde ma vie, le travail mais pas uniquement, l’occasion d’y réfléchir, de penser, en avons-nous souvent l’occasion, je ne crois pas. Une bouffée d’air. Un appel d’air. Et puis l’utopie de se dire que rien ne pourra être comme avant. Que chacun aura été amené à l’essentiel, obligé, ce temps qu’on s’accorde jamais. Ce temps par une épidémie – mon dieu pensions-nous juste ça possible ?– de nous recentrer. Le temps accordé, cette chance, l’espace que ça ouvre, tellement happés que nous sommes par les contraintes, professionnelles, sociales, ce temps qu’on remplit inconsidérément comme si nous en avions tant que ça, juste l’obligation de s’arrêter, là. Et de laisser la place à autre chose, sans crainte, confiant, ne jamais redouter le neuf, l’inédit, et cette perspective de se revoir bientôt, avides, voraces d’échanges, de contacts. De reprendre là où nous en étions mais pas tout à fait. Nous sommes une génération tellement épargnée, que vivre des circonstances exceptionnelles, je ne peux m’empêcher de me dire que nous en sortirons grandis. Que nous en sortirons changés, peut-être pour le mieux. Pour interroger, penser, il faut du temps, et l’épidémie nous l’accorde. Nous avons tout à revoir, ce capitalisme, détestable, qui asservit l’homme chaque jour, qui affaiblit les états, qui saccage la planète, qui nous engloutira tous bientôt, n’est-ce pas le moment de renverser la vapeur ?
20 mars 2020 : « C’est vrai que la vie du pays est ralentie, que d’aucuns s’en réjouissent bruyamment, à coups de « il était temps de réagir », « « de reprendre le contrôle de nos existences de fous », ou de « c’est bon d’avoir enfin maille à partir avec l’ennui, le désoeuvrement, le vide ». Mais ce sont des paroles de nantis qui savent que « coûte que coûte » ils percevront le même salaire en fin de mois. La vérité c’est que les entreprises vont fermer et licencier leur personnel. Que les emplois retrouvés vont de nouveau se perdre et que ce sera le cas dans tous les pays du monde.
Mais tout ça, ce sera plus tard. Pour l’heure, l’urgence est de ne pas attraper cette saleté. Je n’ai pas peur mais je suis déterminée à respecter les consignes. Il paraît que dans deux villes italiennes la contagion a été stoppée. Et en Chine, les gens recommencent à fréquenter les bars et les restaurants.
Sortirons-nous de cette aventure différents ? Je n’en suis pas sûre.
Notre pays sera économiquement affaibli. Nous aurons été rappelés à notre condition fragile et nous aurons compris l’évidence : que de nouveaux ennemis peuvent surgir du néant, sans qu’il soit possible de le prévoir, à tout moment, en tout endroit du globe et que nous habitons un bien petite planète pour qu’il soit si facile et si rapide de l’envahir ainsi.
30 mars 2020 : Aujourd’hui, j’ai demandé à mes élèves de première s’ils avaient pensé écrire eux aussi un journal, et, dans le cas contraire, comment ils pouvaient garder une trace de cette période inouïe. Ils ont bien conscience de vivre un épisode historique majeur et pour l’heure, ça les amuse plutôt.
Ils avaient l’air serein et en forme. Ils ont insisté sur le plaisir qu’ils avaient à se retrouver en famille, même si plusieurs ont déploré les disputes continuelles de leurs parents. C’est donc vrai que les tensions conjugales se renforcent en cette période confinée et que les couples sont mis à rude épreuve. Pas de violence toutefois dans leur foyer, de ce que j’ai pu en deviner. Mais ces choses là sont évidemment sournoises et souvent indétectables. Plusieurs témoignages rapportent, confirment qu’hélas la violence dans le huis clos des familles redouble en ce moment. Un enfant de six ans est mort à l’hôpital, suite aux coups reçus de son père… C’est glaçant.
Et je nous sens tellement à l’abri quant à nous. Il règne dans notre maison une atmosphère si sereine, si chaleureuse et légère. C’est une chance.
Pourquoi cette photo ? D’abord parce que j’ai passé beaucoup de temps dehors dans mon petit jardin ; pour lire, déjeuner et profiter du beau temps. Ce petit espace a constitué une véritable bouffée d’oxygène. J’y ai beaucoup travaillé: j’ai décapé puis traité la terrasse en bois, j’ai rangé le cabanon au fond du jardin (énorme travail), j’ai préparé enduit et repeint les murs, et j’ai fait aussi beaucoup de jardinage. Il me reste encore de l’antirouille à passer dans les structures en fer et remettre en état le gazon. J’aurai aussi pu mettre une photo de ma cuisine où j’ai passé bcp de temps aussi ! Mais mon extérieur m’a apporté plus de satisfaction !