Résumé d’une recherche réalisée par Gérard BAUER (CODRA) et Bénédicte de LATAULADE pour le Plan Urbanisme Construction Architecture (Ministère de l’Equipement) octobre 2000.
NB : cette étude date de 2000. Depuis la réflexion sur la densification a largement progressé. Les reconstructions réalisées en habitat individuel dans le cadre des Projets de Rénovation Urbaine ont largement fait progresser la question du « retour au lotissement dense ».
Il faut donc lire ce résumé comme une réflexion antérieure au processus de production urbaine développé ces 10 dernières années, notamment dans le cadre des projets portés par l’ANRU.
Le lotissement, c’est-à-dire le résultat de l’urbanisation d’un terrain découpé en parcelles vendues puis construites indépendamment, une par une, a été et demeure le mode dominant de la croissance de nos agglomérations.
Cette recherche ne concerne que l’habitat individuel, duquel le lotissement représente aujourd’hui environ la moitié, presque entièrement située en zone » rurbaine » et d’une densité brute moyenne de moins de 15 maisons par hectare (parcelles de 700 m2).
Or de la seconde moitié du 19ème siècle jusqu’à la fin des années 50, le lotissement de maisons était presque entièrement situé en zone urbaine et d’une densité brute : 25 maisons par hectare (soit densité nette de 35 maisons par hectare, parcelles de 300 m2). Il couvre souvent le tiers, parfois même la moitié de la partie compacte de nos agglomérations urbaines, y compris les plus grandes.
Ce bond en arrière de la densité vient évidemment de la généralisation, à partir de 1960, de moyens individuels de déplacement et de communication qui a permis d’aller acheter plus loin une parcelle bien plus grande et moins chère.
Cette forme d’urbanisation apparaît aujourd’hui dispendieuse à tous points de vue. On se remet à penser à des villes plus compactes. La recherche de densification est devenue primordiale dans toutes les réflexions urbaines.
La question se pose désormais de savoir si on peut revenir au mode d’urbanisation traditionnel d’habitat individuel en lotissements 2 ou 2,5 fois plus denses, aujourd’hui totalement abandonné. Nous avons donc dans cette étude, cherché à répondre aux questions suivantes :
– Comment sont faits les lotissements de maisons denses existants ?
– Que sont-ils devenus ? Demeurent-ils adaptés à la vie contemporaine ?
– En existe-t-il des récents quelque part ?
– Les producteurs seraient-ils prêts à réorienter leurs produits en ce sens ?
– Que faudrait-il faire pour réamorcer la production ?
– Y a-t-il des blocages qui gêneraient cette évolution ?
La méthode dite du » groupe d’habitation » (projet d’ensemble – aménagement et construction – vendu clé en main) ne peut-elle être utilisée pour réaliser des ensembles plus denses de maisons ? Certes, mais le lotissement a quelques avantages propres : investissement initial réduit, coût global moindre, structure de production bien répartie sur le territoire, réponse au désir d’individualisation, de personnalisation de la maison.
1960 ?
Nous avons enquêté à Bordeaux, Lille, Rennes, Tours et, bien entendu, dans l’agglomération parisienne. Dans ces grandes villes de province les lotissements denses apparaissent dès la limite de l’hyper-centre historique et ont colonisé sa périphérie sur une profondeur d’1 km (Rennes) à 3 km (Bordeaux). Quoique différents de lieux, d’époques et de tailles les lotissements étudiés présentent entre eux davantage de ressemblances que de différences :
– Des îlots de forme géométrique à 4 côtés (rectangle chaque fois que possible, parallélogramme ou trapèze quand des contraintes préexistantes imposent une déformation), de 50 à 60 m de large contenant deux bandes de parcelles sur une longueur de 70 à 290 m ;
– La profondeur des lots (40 à 70 m) est toujours très supérieure à leur largeur (6 à 12 m) ;
– L’irrégularité de la largeur des parcelles au sein d’un îlot est systématique ;
– La surface moyenne des 1 100 parcelles enquêtées est très proche de 250 m2 et, pour 80 % des îlots, la densité brute moyenne est d’à peu près 30 maisons par hectare ;
– L’aménagement urbain est succinct : rue de 10 ou 12 m sans arbres ;
– Nous avons relevé 6 types différents d’occupation de la parcelle par le bâti dans les lots étroits, les plus courants (autour de 8 m de façade), 3 dans les lots un peu plus larges (autour de 12 m) et 4 dans les lots sensiblement carrés (15 m x 15 m environ). Cette diversité est très supérieure à celle qu’on observe dans les lotissements pavillonnaires actuels.
Que sont devenus les lotissements de maisons denses anciens ?
Demeurent-ils adaptés à la vie contemporaine ?
L’analyse sociologique qui suit fournit des renseignements plus précis. Ce qu’on note simplement en les voyant de la rue c’est que toutes les maisons sont en bon état, bien entretenues, habitées par des gens nullement démunis ; qu’on y voit beaucoup de gens âgés qui semblent résider là depuis fort longtemps ; que les quelques parcelles rendues vacantes (petite entreprise ayant quitté les lieux, incendie,…) sont rapidement reprises et reconstruites.
Existe-t-il des lotissements de maisons denses datant de moins de 40 ans ?
En France nous n’en avons pratiquement pas trouvé, seul un tout petit nombre de très petites réalisations nous a été signalé. Par contre il en existe en Belgique, tout particulièrement dans la petite ville nouvelle de Louvain-la-Neuve où plus de 750 lots de 250 m2 environ ont été mis en vente depuis 1972.
Par rapport aux lotissements analysés précédemment, ils montrent plusieurs différences :
– les quartiers et parfois même les îlots comportent un mélange de maisons en lotissement et de maisons en opérations groupées ou de petits immeubles d’appartements ou de bureaux. Cette pratique assure un paysage urbain plus plaisant que celui du seul lotissement, car à la fois plus varié et plus structuré.
Les opérations en promotion permettent en effet de réaliser aux endroits marquants (entrées du quartier, places, fonds de perspectives,…) des effets » spéciaux » (symétrie, point de repère,…) qui encadrent en quelque sorte la diversité des maisons construites une par une dans les parties » courantes » des rues ;
– la voirie tient évidemment compte des besoins contemporains de stationnement, elle est également plus sophistiquée dans son tracé et son traitement ;
– certains îlots enferment des jardins publics.
Qui habite aujourd’hui dans des lotissements de maisons denses ?
Les quartiers observés, notamment en centre-ville ou à proximité des centres, sont des quartiers qui connaissent un profond renouvellement de population. Les personnes âgées sont remplacées peu à peu par des ménages plus jeunes. On peut parler d’un processus de » gentrification « . L’habitat y est côté, ce qui se traduit par une augmentation récente de la valeur immobilière (Bourg-la-Reine, Bordeaux, Tours). De ce fait, la population qui investit actuellement ce type de quartier est une population en majorité issue de la classe moyenne, voire supérieure. Ce sont majoritairement des ménages disposant d’un certain niveau de revenus, employés ou cadres. De la population « d’origine » restent des artisans, des retraités, quelques ouvriers. Les primo accédants dans l’échantillonnage interviewé ont souvent plus de trente ans et bénéficient d’un certain capital d’épargne.
L’appartenance au milieu urbain semble constituer un critère déterminant dans le choix du lotissement dense. La proximité du centre-ville et de l’ensemble des services urbains est une priorité pour un grand nombre d’habitants. Pour ces personnes, l’alternative se situe entre l’habitat en ville ou la maison à la campagne.
L’entre-deux de la périphérie est pour eux rédhibitoire. Partant de là, avoir un jardin en ville constitue l’accomplissement total de ce projet.
Jamais la densité n’est évoquée comme une contrainte. Au contraire, la présence très proche des voisins confère un sentiment de sécurité. L’on vit dans un ensemble collectif sans en percevoir de désavantage, sans en subir de contrainte, comme cela peut l’être en immeuble. La proximité horizontale n’est pas ressentie de la même manière que celle verticale. Elle n’est jamais critiquée, elle est tacitement acceptée, voire reconnue comme une valeur ajoutée.
Une certaine homogénéité sociale est exprimée de manière latente dans l’ensemble des discours relatifs au voisinage. Soit il est fait référence aux statuts sociaux, aux professions des voisins, soit on met l’accent sur les comportements. Cet » entre-soi » se révèle dans l’expression du respect des uns envers les autres et dans les pratiques de modération dont on fait preuve ou que l’on révèle. Ces pratiques de modération tendent à assurer la paix et la tranquillité d’un ensemble de voisinage.
Fortement normatives, elles révèlent un milieu social homogène partageant des consignes comportementales très précises.
La plus-value d’un habitant ancien compte également dans les critères de choix motivant ce type d’habitat : l’habitat ancien présente à la fois des qualités architecturales, pour certains propriétaires, et uns valeur patrimoniale sûre. L’aspect symbolique de cet habitat passe par son inscription dans l’histoire et la tradition.
Les producteurs actuels de lotissements sont-ils prêts aujourd’hui à s’orienter dans cette direction ?
Nous avons contacté 8 personnes : 3 aménageurs-lotisseurs, 2 architectes, 3 constructeurs de maisons sur catalogue. C’est un échantillon peu représentatif mais presque tous sont des responsables d’organisations professionnelles : Syndicat national des aménageurs-lotisseurs, Architecteurs, Union nationale des constructeurs de maisons individuelles.
A ces 8 professionnels nous avons ajouté 2 maires-adjoints chargés de l’urbanisme dans 2 villes d’environ 50 000 habitants en Seine-et-Marne, département où la construction pavillonnaire est très active.
Si l’on résume très brièvement les résultats de cette enquête :
– la demande d’habitat individuel dense est parfaitement reconnue et expliquée ;
– cela reste cependant un marché latent, encore inexploré ;
– la procédure du groupement réalisé en promotion ne serait-elle pas mieux adaptée pour des opérations denses ? Beaucoup se posent la question ;
– la demande proviendrait soit de jeunes ménages cherchant à acquérir une maison moins chère que le pavillon classique soit, à l’opposé, de jeunes ménages de niveau culturel élevé souhaitant à la fois une maison et la ville, soit encore de ménages âgés souhaitant échanger (pour des raisons de sécurité) un pavillon suburbain contre une maison en ville ;
– deux blocages principaux au développement du lotissement dense ont été cités : les P.O.S., avec leurs tailles de parcelles et marges de recul obligatoires ; la réticence de beaucoup d’élus urbains aux mots » lotissement » (crainte d’un cadre bâti mal maîtrisé) et » densité » (crainte de la promiscuité, de l’arrivée de famille » à problèmes « , de la fabrication d’un paysage urbain insuffisamment verdoyant) ;
– la question de surcoûts éventuels de production par rapport au lotissement pavillonnaire classique apparaît tout à fait secondaire ;
– deux conditions nécessaires pour réamorcer la production de lotissements de maisons denses : commencer par monter des opérations » haut de gamme « , de » standing « , de caractère » urbain « , surtout pas du pavillonnaire au rabais sur petites parcelles, ne » descendre en gamme » qu’ensuite, une fois le marché bien lancé ; lancer deux ou trois opérations-tests à travers la France.
Conclusion :
Cette recherche nous semble avoir confirmé l’hypothèse de départ : on devrait pouvoir revenir au lotissement de maisons denses.
Pour aller plus loin il faudra maintenant :
– affiner les caractéristiques de la demande
– populariser l’idée auprès du public, des élus… et des producteurs eux-mêmes
– trouver des terrains adéquats et constituer des équipes qui prendraient en charge la réalisation d’opérations-prototypes
– obtenir un soutien public pour la remise en service de friches urbaines souvent très bien situées mais grevées de frais importants de démolition et de dépollution.